Du docker œnologue à l’amateur de bitcoins : frontière entre gestion du patrimoine privé et activité commerciale… et conséquences fiscales

11 Décembre 2020

Du docker œnologue à l’amateur de bitcoins : frontière entre gestion du patrimoine privé et activité commerciale… et conséquences fiscales

Il n’est pas rare en France de collectionner des timbres, des œuvres d’art, ou des vins de grands crus en tant que placement alternatif. Si la plus-value occasionnée lors de leur revente relève alors du régime des plus-values des particuliers, cette opération peut entraîner de lourdes conséquences fiscales en cas de requalification en activité commerciale.

 

1. Les professionnels effectuant des opérations patrimoniales dans leur domaine d’activité sont les premiers exposés au risque de se voir opposer une requalification en activité commerciale

La gestion du patrimoine privé se distingue de l’exercice d’une activité commerciale qui suppose l’accomplissement d’opérations à titre habituel avec une intention spéculative, notamment l’achat de biens meubles en vue de leur revente.1 Cette intention spéculative s’apprécie au moment de l’achat.

Pour apprécier le caractère commercial d’une opération, la jurisprudence retient le nombre d’opérations réalisées, leur fréquence et leur montant. La brièveté du délai entre l’achat et la revente est un indice parfois retenu par le juge, mais n’est pas déterminant.

Ainsi, les collectionneurs et professionnels qui entendent effectuer des opérations patrimoniales dans leur domaine d’activité sont les premiers exposés au risque de se voir opposer une requalification en activité commerciale.

Ce fut notamment le cas :

  • d’un expert philatélique ayant réalisé 54 opérations de cessions de timbres à une société exerçant une activité de négoce philatélique dont il est le gérant, pour un montant de 319 200 € sur trois années, sans démontrer que les timbres provenaient de sa collection personnelle2 ;
  • d’une attachée commerciale au sein d’une galerie d’art ayant effectué des achats suivis d’une trentaine de reventes d’objets d’art et antiquités pour un montant de 2 887 150 F sur deux années3 ;
  • d’un expert d’art ayant réalisé 155 opérations d’achat et 231 opérations de ventes d’œuvres d’art sur quatre années4 ;
  • d’un professionnel du conseil et de la recherche de lots de billets et de collections ayant effectué des achats de pièces et billets suivis de 427 ventes sur trois années pour un montant global de 621 214 €5 .

Cependant, n’est pas reconnu le caractère commercial lorsque les transactions portent sur un nombre limité d’œuvres (trois acquisitions de lots d’objets d’art avec revente d’un seul lot au cours de la même année puis, deux ans plus tard, revente partielle d’un deuxième lot), même si le montant de ces transactions est très important.6

On constate ainsi une capillarité qui facilite une requalification des ventes en opérations commerciales lorsque le contribuable est un professionnel du secteur.

 

2. Les particuliers ayant une activité professionnelle bien distincte n’échappent pas pour autant au risque de requalification des plus-values privées en bénéfice professionnel

Les particuliers ayant une activité bien distincte n’échappent pas pour autant à la requalification de leurs opérations de ventes de biens de leur patrimoine privé en activité commerciale.

Ce fut notamment le cas :

  • d’un agent d’assurances ayant réalisé plus de 200 transactions d’achat-revente portant sur des œuvres d’art sur trois années7 ;
  • et dans un arrêt récent, d’un docker salarié ayant réalisé 34 ventes portant sur plus de 300 bouteilles de vins de grands crus, pour un montant de 186 170 € sur trois années, sans démontrer les modalités d’acquisition des bouteilles provenant de sa cave personnelle8.

Il est observé que pour apprécier le caractère commercial de l’activité d’achat-revente de bitcoins à titre habituel, et imposer les gains tirés à cette occasion dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, la jurisprudence applique les mêmes critères.9

 

3. La prudence est de mise compte tenu des conséquences fiscales

En principe, la plus-value occasionnée lors de la revente d’objets du patrimoine privé est imposée selon le régime des plus-values des particuliers au taux de 19 %10 auquel s’ajoutent les prélèvement sociaux au taux de 17,2 %, ou, s’agissant des objets et métaux précieux à une taxe forfaitaire proportionnelle au prix de vente.11

Dès lors que l’opération de revente est requalifiée en activité commerciale, elle est imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). De lourdes conséquences s’en suivent puisque le contribuable sera alors redevable :

  • de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu ;
  • des rappels de TVA ;
  • des intérêts de retard et de la majoration de 80 % pour activité occulte.

Ces redressements sont sans préjudice de poursuites pénales pour fraude fiscale, puisque désormais l’administration est tenue de dénoncer au procureur les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle lorsque les droits rappelés excède un certain montant.12

 

 

(1) Art. L 110-1 du c.com
(2) CE (na) 26 juillet 2018, n° 417556
(3) CE 27 janvier 2010, n° 306956, Robert
(4) CE 14 janvier 1983, n° 34133
(5) CE (na) 21 mai 2012 n° 352213, Yungcker
(6) CAA Bordeaux 30 octobre 2003 n° 99-1878, Cassenac
(7) CE 18 juin 2007, n° 270734, Bouet
(8) CAA Douai, 2 avril 2020, n° 17DA02225
(9) Conclusions du rapporteur public Romain Victor sous CE 26 avril 2018, n° 417809
(10) Art. 200 B du CGI
(11) Art. 150 VI du CGI
(12) Art. L 228 du LPF, I